Benjamin : un médecin de retour de Libye


Benjamin Wood est un médecin originaire de Tasmanie, en Australie. Il a travaillé pendant des années comme médecin urgentiste dans ce pays. Puis, il a déménagé à Berlin pour suivre un Master en médecine internationale, avec une spécialisation en santé dans le contexte humanitaire et, en particulier, des réfugiés. Cette année, il a travaillé chez Première Urgence Internationale pour la mission Libye, comme coordinateur médical.

Il nous parle de son expérience

J’ai été à Tunis deux fois cette année (1). La première fois, je suis parti comme chef de programme santé pour une durée de deux mois, à partir du mois d’avril jusqu’à juin. La deuxième fois, j’y suis allé en tant que coordinateur médical pendant 3 mois, de septembre à aujourd’hui.

Ma première mission à Tunis était focalisée sur le recrutement des unités mobiles à Benghazi et sur la formation technique des équipes. Cette expérience m’a donné la possibilité de représenter Première Urgence Internationale à Tunis et de créer des relations avec des partenaires importants. Les objectifs de ma deuxième mission étaient de travailler sur l’évolution de la stratégie de Première Urgence Internationale en Libye, développer des idées et un plan pour 2018, ainsi que coordonner des activités au quotidien.

Le contexte sanitaire en Libye

Malheureusement, il y a encore un manque de données relatives à la santé dans toute la Libye, y compris à Benghazi, la deuxième ville du pays avec plus de 600 000 habitants.
Lorsqu’on analyse le système de santé, on constate un manque de coordination et de gouvernance du secteur de la santé à Benghazi.
Cette absence est causée par la fragmentation du gouvernement qui a lieu depuis la chute de Kadhafi et par des conflits politiques entre l’Est de la Libye (contrôlé par la Chambre des représentants) et Tripoli (« contrôlé » par le gouvernement el-Sarraj).

Il y a une pénurie de médicaments et des difficultés d’approvisionnement tout au long de la côte libyenne, y compris à Benghazi. Les besoins en santé seront l’urgence de 2018.

Il y a aussi des dégâts considérables sur les infrastructures de Benghazi. Dans la ville, la moitié des structures de santé existantes ne sont plus fonctionnelles.

En Libye, ton état de santé dépend de l’endroit où tu vis

Pour les libyens, surtout pour les personnes qui résident sur la côte, comme à Benghazi, par exemple, les personnes souffrent principalement de maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension ainsi que de maladies mentales.

Les libyens qui habitent au Sud, n’ont pas la possibilité d’accéder aux services primaires de santé. Une difficulté liée aux faiblesses des structures et au manque d’investissement. Ce problème n’est pas seulement issu de l’actuelle guerre civile.

Pour les personnes déplacées de force et pour les migrants qui viennent de l’Afrique de l’Ouest, les problématiques sont vraiment différentes. Souvent, elles font partie du domaine de la violation des droits humains.

Santé mentale et interventions de support psychosocial

Pour beaucoup de communautés en Libye, qui ont été affectées directement ou indirectement par les conflits prolongés dans le pays, le problème de la santé mentale et psychosociale est énorme. L’approche des institutions est centrée sur la psychiatrie et ne s’adresse pas suffisamment aux besoins « socio-écologiques » des personnes.

Actuellement, le système de santé primaire n’a pas la capacité de gérer les problèmes liés à la santé mentale et idéalement le service devrait être externalisé.

Ce qui me parait très important, c’est de travailler sur une approche inter-sectorielle pour améliorer et développer la sécurité des communautés. Le but est de développer des opportunités de travail et d’éducation, en facilitant la cohésion sociale, en rendant justice aux personnes qui violent les droits humains et en donnant aux membres des communautés leur rôle et identité.

Notre point de vue sur l’actualité

L’attention médiatique portée récemment à la situation des migrants en Libye, faisant notamment suite à un reportage de CNN sur l’existence de « marchés d’esclaves » et de centres de détention aux conditions inhumaines, mérite d’être replacée dans son contexte en soulignant, d’une part, que cette situation n’est malheureusement pas nouvelle et, d’autre part, qu’elle doit s’analyser dans une approche globale ciblant l’ensemble des parcours de migrations, ainsi que les stratégies mises en œuvre pour les endiguer.

Violation des droits humains

Les violations des droits humains observées en Libye, et aujourd’hui légitimement dénoncées, ne sont que l’un des drames vécus par les dizaines de milliers de réfugiés économiques et/ou politiques qui tentent la « route de l’Europe », comme le sont les naufrages en Méditerranée ou les disparus du Sahara.

Dès lors, tout en continuant de témoigner et d’apporter l’assistance nécessaire aux personnes sur l’ensemble du parcours de migrations, il est impératif de considérer que seul un travail ciblant les causes profondes de cet exode peut impacter le volume des flux (3). Les barrières érigées, de quelque nature qu’elles soient, ne font elles qu’accentuer la vulnérabilité et l’exposition aux réseaux criminels de ces victimes des désordres du monde.

(1) La mission bénéficie d’une équipe d’expatriés basée à Tunis en raison des conditions de sécurité volatiles en Libye, et d’une équipe locale basée à Benghazi à temps plein. L’équipe expatriée a notamment pu se rendre à Benghazi pour une première visite terrain en novembre 2017.

(2) Première Urgence Internationale a développé un programme de réponse d’urgence en santé et soutien psychosocial, à travers trois cliniques mobiles, afin d’assurer la couverture des besoins critiques en santé pour les populations déplacées les plus vulnérables.

(3) Première Urgence Internationale travaille depuis plusieurs semaines à un déploiement exploratoire dans la région Ouest libyenne au cours du premier semestre 2018 afin de mieux comprendre les dynamiques en cours dans la région et d’adresser de manière globales les problématiques spécifiques notamment liées aux populations migrantes et demandeurs d’asile. Conscient des réalités subies par ces populations lors de leur traversée de la Libye vers les côtés méditerranéenne, Première Urgence Internationale souhaite mieux comprendre les besoins globaux, à la fois à leur arrivée dans les villes côtières, mais aussi en amont lors de leur passage du sud au nord de la Libye, dans une compréhension régionale des parcours migratoires. Cette approche, en lien avec le développement d’évaluations dans la région d’Agadez au Niger, s’inscrit dans la volonté de Première Urgence Internationale d’apporter des éléments de compréhensions sur le contexte libyen et de proposer des stratégies d’interventions cohérentes pour assurer la protection de ces personnes et leur offrir un accès aux premiers soins.


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